La Personnalisation : Forces et limites

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Le modèle Netflix

La personnalisation n’est pas un sujet anodin chez Netflix. 

Les enjeux sont de taille, puisqu’il s’agit d’aider chaque jour 200 millions d’utilisateurs à choisir le film qui non seulement leur convient, mais qui leur donnera également envie de multiplier les visites sur la plateforme.

La personnalisation marketing prend ici la forme de vignettes destinées à présenter les films et séries, composées de visuels (qui ne sont jamais ceux de l’affiche !), de couleurs et de textes, tous différents et construits pour s’adresser à chaque client.

En plus d’être une méga base de données de goûts cinématographiques, Netflix sait également tout sur les goûts visuels : ce qui attire le regard, ce qui donne envie de découvrir, et ce qui donne envie d’aller plus loin. Soit tous les moyens nécessaires pour permettre une décision qui se fait en 1.8 secondes en moyenne.

Des IA puissantes et une personnalisation complexe

Le matériel fourni par les concepteurs et distributeurs des séries et films n’est pas mis en avant par Netflix car jugé peu utile.

En lieu et place, c’est un Aesthetic Visual Analysis qui est mis en place, soit tout un processus détaillé de conception/sélection des vignettes qui fonctionne de la façon suivante :

  • Toutes les vidéos sont décomposées en image, sachant qu’un épisode d’une heure peut contenir plus de 80 000 images
  • Chacune de ces 80 000 images est analysée et annotée avec un programme d’intelligence artificielle et des métadonnées qui identifie tous les éléments clés, l’éclairage, la présence de visages, l’angle de vue, la composition de l’image, etc.
  • Un classement est réalisé en fonction de la probabilité d’être cliqué, grâce à des critères optimisés via machine learning : expression des visages, personnages, luminosité,…
  • Ces images sont recomposées et chartées pour y inclure des textes, des couleurs, des contrastes
  • L’IA croise ces données avec les goûts de chaque utilisateur en matière de contenus, d’acteurs, de style, sur la base des historiques d’utilisation de la plateforme : films vus ou revus, films interrompus, …
  • Enfin, ces résultats sont A/B testés pour être optimisés : les premiers 10% des spectateurs reçoivent le choix A, les 10% suivants le choix B; les 80% restant reçoivent le choix le plus cliqué (choix A ou B) par les premiers spectateurs.

Les limites du modèle

Si la débauche de moyens chez Netflix est impressionnante et passionnante d’un point de vue technique, elle reste difficilement envisageable pour une entreprise moyenne qui ne dispose pas de telles ressources, tant financières, que technologiques et humaines, et peut aussi s’avérer discutable du point de vue de son efficacité.

Souvent présentée comme le Graal du marketing, la personnalisation (ie. le process marketing qui consiste à contextualiser l’expérience de navigation, les messages et les offres d’un site web en fonction des caractéristiques de chaque visiteur) peut en effet s’avèrer aussi complexe dans sa mise en place que sujette à caution lorsqu’il s’agit de mesurer sa rentabilité réelle.

Des données de plus en plus difficiles d’accès

La collecte de données personnelles se heurte en effet aux législations de plus en plus sensibles sur ce sujet depuis les scandales de ces dernières années.

La période Open Bar de la Data est belle et bien finie en raison notamment des abus et des fraudes répétées du type Cambridge Analytica ! Cette époque pas si lointaine n’est plus qu’un souvenir, et la RGPD et les lois et dispositifs européens veillent dorénavant à encadrer de façon très stricte la collecte et l’exploitation de ces données.

Des entreprises incontournables comme Apple ne sont pas en reste et rendent également cette collecte difficile en soumettant les autorisations à des Opt-In de consentement systématiques.

Enfin, ces résistances ne s’arrêtent pas aux législateurs et entreprises, puisqu’elles peuvent aussi émaner directement des internautes qui multiplient les navigateurs, apps et outils destinés à réduire au maximum la diffusion de leurs données personnelles.

Des résultats contestables

Une récente étude conduite par le MIT et la Melbourne Business Schoo, montre que la validité des données 3rd Party et les résultats obtenus sont pour le moins préoccupants : on y apprend que les données de profil liées au sexe se sont révélées exactes dans seulement 42.3% des cas étudiés, alors que celles liées à l’age varient entre 4% et 44% …

Et ces résultats sont régulièrement confirmés par des études qui montrent l’impact limité de la personnalisation dans les opérations marketing.

L’avenir de la personnalisation

Il est dés lors intéressant de constater dans ce contexte que tandis que Netflix continue de déployer des efforts sans cesse plus importants pour lutter contre la hausse de son taux de churn, un de ses principaux concurrents, Disney, utilise un autre marketing, moins personnalisé, moins clinquant, plus ancien. 

Un marketing qui repose plus sur des stratégies produit similaires à celles déployées pour de films comme Wall-E ou Toy Story, conçus pour attirer un maximum de spectateurs à travers le monde. Des énormes productions dont l’objectif est de trouver avant tout le dénominateur commun capable de traverser un maximum de cultures et de segments marketing, enfants ou adultes.

Et c’est par la construction de ces produits universels et impersonnalisés, capables de plaire à tous, plus que par du marketing de personnalisation que Disney parvient à collectionner les succès et les rentabilités record.

Pour autant, faut-il conclure que la personnalisation est complètement inutile ?

La personnalisation et les entreprises data-driven

Ce n’est pas l’avis de McKinsey, par exemple, pour qui la personnalisation est attendue par la majorité des clients et a toute sa place dans la stratégie des entreprises innovantes et data-driven. Très utile lorsqu’il s’agit d’adapter les parcours clients aux besoins et contraintes exprimés, elle est jugée décisive pour les actes d’achat et de recommendations. 

A condition que cette personnalisation ne reste pas strictement cantonnée au marketing et qu’elle s’impose comme une approche stratégique gagnante sur le long terme.

Des arguments dont on peut douter qu’ils suffisent à convaincre les 80% de responsables marketing susceptibles d’abandonner les efforts de personnalisation d’ici 2025 de changer d’avis, Cf. Etude Gartner.